Le Japon de la "Dame de fer"

La situation politique en Japon 11/2025

Géopolitis

est une émission de la radiotélévision Suisse RTS.
L'émission du 16 novembre 2025 traitait de la situation politique intérieure et étrangère actuelle du Japon du point de vue de journalistes suisses, aussi avec des détails intéressants.
La vidéo dure 26 minutes et j'y ai ajouté des sous-titres.
Pour une lecture rapide, la transcription se trouve ci-dessous.
L'article 9 de la constitution japonaise devrait intéresser les pratiquants d'aïkido. Dans le cadre de la politique belliciste mondiale, il aussi est désormais prise pour cible.

Introduction

Présentation : Laurent Huguenin-Elie (LHE)
LHE : Bonjour et bienvenue dans Géopolitis.
Avec au programme la nomination d'une première ministre au Japon qui arrive dans un contexte intérieur mais aussi géopolitique. Sanae Takaichi prend donc les reines du gouvernement japonais. Elle représente la ligne dure de son parti le PLD. Elle considère Margaret Thatcher comme son modèle politique portrait dans cette édition. À peine arrivé à la tête du pays, Sanae Takaichi a enchaîné les rencontres diplomatiques en commençant par la visite de Donald Trump.

Les questions

LHE : Quels sont dans cette zone Asie-pacifique les dossiers qu'il attendent ?
Nous verrons aussi que le Japon pacifiste, selon la Constitution augmente toujours un peu plus son budget militaire. Le pays souhaiterait renforcer ses troupes au sein des forces d'autodéfense compte tenu des tensions dans la région. Mais peine à recruter.
Une femme enfin à la tête du gouvernement japonais. C'est une première dans un monde politique très largement dominé par les hommes. Mais les mouvements dans l'archipel pour les droits des femmes restent pour le moins prudents voire méfiant. Les prises de position de Sanae Takaichi sur les questions d'égalité et de genre sont loin de les rassurer. La nouvelle première ministre est considérée comme traditionaliste, conservatrice et nationaliste.
Sa nomination n'est certainement pas dû au hasard dans le contexte actuel. Son parti, le PLD, Parti libéral démocrate, au pouvoir sans discontinuer ou presque depuis 1955 traverse une zone de turbulence. Son hégémonie s'effrite et cet automne, il a fait le choix de la ligne dure en nommant Madame Takaichi. Mais dès lors, il a perdu le soutien d'un parti centriste, le Kōmeitō, avec lequel il avait formé un gouvernement de coalition au profit du Ishin, un parti populiste.
Alors, comment situer le Japon d'aujourd'hui dans cette configuration ?
Et comment le Japon se positionne lui-même sur le plan international ?
Nous accueillons Constance Sereni, historienne du Japon contemporain. Si tôt après ce portrait explicatif de la nouvelle première ministre, il est signé Mélanie Ohayon.

La conservatrice

Sanae Takaichi, première femme à la tête du Japon. Devant le parlement, Sanae Takaichi savoure ce moment d'histoire. Élue au premier tour, elle devient la toute première femme à la tête du toute première femme à la tête du gouvernement japonais.
Une nomination officialisée quelques heures plus tard par l'empereur du Japon, Naruhito. Présidente du Parti libéral démocrate, elle défend une ligne dure.
Nationaliste, conservatrice, elle ne cache pas son admiration pour Margaret Thatcher. Comme elle, elle fait de l'inflation à combat prioritaire dans un pays où le prix du riz a presque doublé en un an. Son ambition, un Japon fort économiquement et puissant face au reste du monde.

Takaichi: "Le Japon est confronté à une crise majeure, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Nous n'avons pas le temps de rester les bras croisés. Nous agirons avec audace et sans crainte du changement. En avançant à toute vitesse dès le premier jour."
Derrière cette figure de fermeté, son profil atypique détonne au sein du sérail politique japonais. Né dans un milieu modeste à Nara, passionné de moto et batteuse dans un groupe de Heavy Métal à l'université. Après de brefs débuts de chroniqueuse à la télévision, elle est élue pour la première fois députée en 1993. Elle occupe plusieurs postes au sein des gouvernements de Shinzo Abé, son mentor assassiné en 2022. Tout comme lui, elle est associée au courant révisionniste. Elle se rend régulièrement au sanctuaire controversé de Yasukuni, un lieu qui honore notamment la mémoire de Japonais condamnés pour crime de guerre pendant la Seconde Guerre mondiale.

Japanese First

Le parti de Sanae Takaichi, le PLD, gouverne le Japon quasiment sans interruption depuis 70 ans. Mais un récent scandale financier le rend de plus en plus impopulaire. Plusieurs membres du parti sont soupçonnés d'avoir détourné l'équivalent de plusieurs millions d'euros. Lors des dernières législatives, le PLD a perdu la majorité absolue dans les deux chambres du Parlement. Il devra donc faire face à d'autres formations, y compris les plus extrêmes. L'une d'elles vient de gagner 14 sièges au Sénat.
Sohei Kamiya, président de Sanseito : "Le Sanseito gagne en popularité parce que nous disons les choses évidentes de manière évidente. Faisons la politique que les gens attendent. C'est ce que j'appelle le Japanese first. Je dis que les priorités sont mauvaises. Pourquoi les étrangers passent-ils en premier alors que les Japonais ont du mal à joindre les debout et vivent dans la peur ?"
Rhétorique antivax et antisémite, le Sanseito capitalise surtout sur les inquiétudes croissantes de la population japonaise sur l'immigration et séduit particulièrement une partie de la jeunesse urbaine.
Jeune Japonaise:"Les étrangers qui sont arrivés récemment au Japon n'ont aucun respect pour le pays. Ils sont venus pour travailler à bas prix. Je ne pense pas qu'ils apportent quoi que ce soit de bon au Japon."
Le Japon est confronté à une pénurie chronique de main d'œuvre dans de nombreux secteurs. Dû en partie à une baisse régulière du nombre de naissance.
L'an dernier, la population étrangère du Japon a atteint un niveau record, plus de 3,7 millions de personnes. Dont une grande majorité d'origine chinoise. Mais les étrangers ne représentent que 3 % de la population du pays.

Majorité dans les deux chambres

LHE : Constance Sereni (CS), bonjour. CS : Bonjour.
LHE : Vous êtes historienne spécialiste du Japon contemporain à l'université de Genève. La nouvelle première ministre Sanae Takaichi, on l'a vu là vraiment est très énergique, elle a beaucoup de personnalités. Est-ce qu'elle est populaire ?
CS : C'est assez difficile de mesurer la popularité d'un homme ou d'une femme politique au Japon parce que en réalité la plupart des gens n'ont pas tellement des opinions politiques très arrêtées. La politique n’est pas quelque chose qui passionne véritablement les gens qui ont un peu l'impression que c'est une ça se passe loin bref. Mais elle a gagné pas mal de popularités, notamment parce que c'est une femme.

Dynasties politiques

CS : Et que pour certains jeunes japonais, ce serait donc un signe encourageant malgré tout de progrès, que ce soit une femme qui soit au pouvoir.
LHE : Et puis elle a dû faire sa place au sein de ce monde d'homme politique. Elle n'est pas issue elle-même d'une dynastie politique. Et ça change tout.
CS : Tout à fait. Une des particularités du monde politique au Japon et notamment au sein du PLD, du Parti libéral démocrate, le parti qui … C'est que les dynasties politiques sont très nombreuses. On l'a vu là, l'autre candidat était bien sûr le fils de Koizumi Junichiro (*1942). Abé (*1954) par exemple, lui-même était le petit-fils de Kishi (*1896) qui lui-même premier ministre. Les dynasties politiques c'est quelque chose de très important. Il faut avoir un ancrage profond dans sa région pour être élu. Car les hommes politiques japonais sont avant tout des hommes politiques locaux. Et les dynasties familiales aident à préserver cet ancrage local.
Et Takaichi Sanae pas du tout. En fait elle vient d'une famille entre guillemets ordinaire une famille de classe moyenne. Et elle a pas du tout bénéficié de ce type d'appui. Elle s'est faite toute seule. C'est la première femme bien entendu à arriver à ce niveau-là en politique. Cependant, elle-même plusieurs fois a montré qu'elle était opposée à l'idée fondamentale déjà de l'égalité homme-femme donc et le fait que les femmes puissent utiliser leur nom de jeune fille. Elle avait parlé de faire un gouvernement à la scandinave qui comporterait beaucoup de femmes. En réalité, finalement, il y a deux femmes dans son gouvernement. À voir si cette situation va évoluer au futur ou pas.
LHE : Le Japon a connu une crise politique importante avec des scandales aussi. Vous avez parlé du parti au pouvoir depuis 1955. Donc presque toutes ces années, à l'exception d'une parenthèse. Donc pour le PLD ce n’est pas évident aujourd'hui. Son pouvoir s'effrite un peu et là il a choisi la ligne dure pour le représenter à travers Madame Takaichi. Ce n’était pas innocent ?
CS : C'est ... pas innocent. C'est surtout une question de compromis.
C'est-à-dire que le problème c'est que le PLD n'a de toute façon pas la majorité aux deux chambres en ce moment. Effectivement entre autres à cause des différents scandales financiers qui l'ont attaché ces dernières années. Et donc il était nécessaire de faire des coalitions avec différentes personnes. Il semblerait que Koizumi (*1981) n'est pas réussi à faire des coalitions qui fonctionnent suffisamment pour qu'il puisse devenir le …
LHE : Koizumi est son rival.
CS : Koizumi est son rival. Tout à fait. Et Takaichi, elle a réussi ce pari qui est extrêmement difficile de trouver un parti qui l'épaule pour obtenir la majorité dans les deux chambres.
LHE : Plusieurs défis l'attendent évidemment d'abord sur le plan intérieur à commencer par la question économique.
Les questions économiques.
CS : Oui. Alors la ligne qu'elle a suivie pour le moment c'est effectivement celle de son mentor. Ce qu'on appelait à l'époque au Japon ABENOMICS, c'est-à-dire la politique d'Abé. Politique économique de Shinzo Abé, donc ... Qui a été assassiné en 2022.
Et cette politique, c'est principalement une question de contrôle de l'inflation, de grands travaux publics qui permettraient de relancer l'économie. L'inflation est quelque chose dont elle a plusieurs fois parlé ... Et l'inflation est en ce moment dramatique au Japon. Le yen baisse, l'inflation monte. Ce qui fait que le pouvoir d'achat des ménages japonais est extrêmement bas. Et c'est quelque chose qui pour une fois rend les gens beaucoup plus susceptibles de s'intéresser à la politique.
LHE : On l'a vu dans le sujet, une question qui fait polémique aussi, la présence des étrangers sur son sols. Sur une population de 124 millions il n'y a que 4 millions d'étrangers. Avec notre regard d'occidentaux, ça paraît peu ?
CS : Tout à fait. C'est en réalité la proportion reste très basse. La grande majorité des étrangers qui sont sur le territoire japonais sont là pour travailler. Ils sont sur des visas qui sont courts parce qu'il n'est pas possible d'émigrer au Japon. En réalité, il est extrêmement difficile voir totalement impossible d'obtenir la nationalité japonaise quand on n'est pas né japonais. Donc ce sont des gens qui ont des contrats et qui restent quelques années avant de rentrer chez eux. Ces sont des travailleurs considérés comme essentiels au Japon dans des métiers que les Japonais eux-mêmes ne veulent plus faire. Les métiers difficiles, les métiers fatigants, les métiers pénibles, notamment le soin aux personnes et aux personnes âgées.
Le Japon est une population évidemment très âgée, l'une des plus âgées du monde. Les étrangers qui font peur, en réalité, c'est une toute petite proportion de ces étrangers. Les quelques réfugiés qui existent au Japon qui ont été attaqués violemment ces dernières années, sur les réseaux sociaux. Les moindres crimes commis par ces populations qui sont très pauvres. Donc naturellement, il y a effectivement des délits qui sont commis et monter en épingle dans les médias et surtout sur les réseaux. Ce qui fait qu'il y a une espèce de peur des étrangers qui est en train de se développer.
LHE : Et encore la présence des étrangers via les touristes qui sont de plus en plus nombreux.
Tout à fait. De très bonne manière.
CS : Tout à fait, les touristes qui rappellent que le Japon n'est pas en position de force en ce moment. Et que si les gens viennent par avion entier au Japon en ce moment, c'est parce que le yen est faible. Et que donc le Japon est une destination peu chère.
Et le Japon ne s'est jamais vu comme cela. C'est le Japon se comporte de cette façon-là avec les pays qu'il considère comme moins importants comme les pays de d'Asie du Sud-Est. Ce sont des pays qui sont peu chers où on va s'amuser. L'idée que le Japon en fasse partie, c'est très blessant en fait pour une partie de la population japonaise.
LHE : Alors on a évoqué là les défis intérieurs. Mais à peine arrivé au pouvoir, Sanae Takaichi a aussi enchaîné les rencontres internationales lors des sommets en Asie. Et sur son sol avec la visite de Donald Trump au Japon. La nouvelle première ministre cherche à renforcer les liens entre les deux pays.

Les liens avec Washington

par Elsa Anghinolfi
Sanae Takaichi veut renforcer ses liens avec Washington. Le test semble réussi pour Sanae Takaichi. Sur la base navale américaine de Yokosuka au sud de Tokyo, Donald Trump fait l'éloge de sa nouvelle partenaire diplomatique.
Trump : "Cette femme, c'est une gagnante. Vous savez, nous sommes devenus des amis très proches."
Sanae Takaichi n'a pas ménagé ses efforts pour s'attirer les bonnes grâces du président américain qui la rencontrait pour la première fois au Japon fin octobre 2025. Une balle de golf plaqué or cadeau du bœuf américain au menu du dîner.

Japon - USA

La première ministre aurait aussi annoncé vouloir le recommander pour le prix Nobel de la paix.
Takaichi : "En si peu de temps, le monde est devenu plus pacifique. J'apprécie énormément votre engagement sans faille en faveur de la paix et de la stabilité dans le monde. J'ai moi-même été profondément impressionné."
Dès son arrivée au pouvoir, Sanae Takaichi affirme vouloir élever les relations entre les deux pays à de nouveaux sommet.
Takaichi : "L'alliance nippo-américaine est la pierre angulaire de notre politique étrangère et de sécurité."
Le Japon et les États-Unis sont liés par un traité de défense signé en 1960. Le Japon accueille le plus important contingent américain à l'étranger approximativement 60000 militaires sur plusieurs bases. La plus grande partie sur l'île d'Okinawa. Elle se situe à seulement 600 km de Taiwan que Pékin considère comme faisant partie de son territoire.
Selon un communiqué du ministère japonais des affaires étrangères la première ministre a fait part de ses préoccupations concernant la région devant les pays membres de l'Association des nations ASEAN. "En mer de Chine orientale, des activités qui portent atteintes à la souveraineté du Japon et des activités militaires provocatrices se poursuivent et s'intensifie."
La paix et la stabilité dans le détroit de Taïwan sont importantes et ont une incidence directe sur la sécurité régionale.
Après la visite de Donald Trump, Sanae Takaichi s'est envolé pour la Corée du Sud à l’autre allié important des États-Unis dans la région pour assister à un autre sommet régional. La première ministre y a rencontré le président chinois Xi Jinping. Les deux pays se sont engagés à poursuivre des relations stables et constructive.

Caresser Donald Trump

LHE : Sanae Takaichi a choisi de caresser Donald Trump dans le sens du poil. Sanae Takaichi n'a pas de réelle expérience diplomatique mais là avec Donald Trump elle s'en est vraiment bien sortie.
CS : Tout à fait. Elle a été dans un premier lieu félicité en fait pour son habileté à gérer Donald Trump qui est un personnage qui est comme vous le savez assez difficile à gérer sur la scène internationale. Et elle a choisi de le caresser dans le sens du poil ce qui a semblé à beaucoup de commentateurs très habiles. Cela dit, elle a également été critiquée à la diète pour cela.

Tensions territoriales

CS : Parce que certaines personnes ont trouvé qu'elle avait lâché trop de mou finalement face aux Américains, qu'elle s'était montrée trop conciliante. Et donc il faudra voir si elle change un peu cette ligne qu'elle a choisie. Notamment avec ces fameux 500 milliards de dollars que le Japon est supposé investir aux États-Unis, qui pour le moment reste très flou.
LHE : Le Japon sait que cette alliance avec les États-Unis est importante. Mais il cherche aussi à diversifier ses contacts.
CS : C'est important aussi pour l'archipel de jouer la carte d'autres puissances. Tout à fait. Le Japon participe à plusieurs organisations internationales asiatiques qui sont à différentes échelles. Parlant du le quad qui est bien sûr assez réduit entre juste Australie, Corée, Japon, États-Unis. Mais l'ASEAN dont on vient de parler qui est là par contre est très large. Et le Japon a toujours cherché à se placer au centre de ces organisations comme leader quelque part de l'Asie. Ce qui ne rend pas toujours sympathique vis-à-vis évidemment des autres pays.
LHE : La question de Taïwan est évidemment aussi au centre des préoccupations. Taïwan qui se trouve - alors si on prend l'archipel dans son ensemble. On connaît la place stratégique importante d'Okinawa. Mais il y a aussi une île par exemple qui n'est qu'à une centaine de kilomètres et qui s'appelle Yonaguni.
CS : Tout à fait. En fait l'archipel de d'Okinawa est composé d'une multitude d'îles. Certaines d'entre elles sont très proches de Taiwan. Certaines sont même dans des zones qui sont contestées par la République populaire de Chine. Yonaguni est tout près de Taïwan et le Japon a choisi d’y placer des missiles défensifs pour le moment.
Mais en tout cas d'y renforcer la puissance militaire. Ce qui inquiète beaucoup les gens qui surveillent la tension géopolitique de la région. Parce que bien entendu même des missiles défensifs pourraient être considérés comme une provocation par rapport à la République populaire de Chine.
LHE : La guerre en Ukraine, ça c'est un sujet intéressant parce qu’elle a choqué véritablement le Japon. Et pour cause évidemment elle implique la Russie qui est un ennemi héréditaire, si on peut dire, et la Corée du Nord.
CS : Oui, tout à fait. C'est surtout cette espèce de coalition qui s'est formée entre la Russie, la Chine, la Corée du Nord. Qui finalement d'un point de vue géopolitique est un peu improbable. Mais qui du point de vue du Japon pourrait être perçu comme une coalition anti-Japonaise. Parce que ce que ces pays ont tous en commun, c'est qu'ils ont pas mal de reproches à faire au Japon. Et qu'ils ont des disputes territoriales avec le Japon. Naturellement cela inquiète énormément le Japon qui déjà depuis plusieurs dizaines d'années vit dans l'inquiétude des capacités militaires grandissantes de la Corée du Nord.
LHE : Avec Russie et surtout Corée, Chine ... ce rapport à l'histoire évidemment qui est centrale aussi qui est complexe pour le Japon.
CS : Tout à fait. Bien entendu, les questions historiques qui séparent la Corée du Sud et du Nord et la Chine, la Russie, le Japon sont des vrais problèmes historiques. Et qui méritent d'être résolus plus en profondeur.
Mais en réalité, ce qu'on voit surtout c'est que ces problèmes historiques sont instrumentalisés dans la politique de façon à être des nœuds qui permettent de mobiliser l'opinion publique. C'est-à-dire qu’accuser le Japon de crimes de guerre, de Nankin ou bien des femmes de réconfort. Bien entendu, c'est légitime mais ça sert aussi à renforcer un sentiment anti-japonais dans la population. Et ça peut être très utile selon les situations pour le gouvernement de Chine ou pour le gouvernement coréen.
LHE : Face aux différentes menaces, le Japon accélère sa remilitarisation et les forces d'autodéfense ont du mal à séduire de nouvelles

Réarmement

par Natalie Bougeard
Le Japon accélère son réarmement, mais peine à recruter des soldats.
Fraîchement diplômé, Takuma Hiyane 19 ans vient de s'engager.
Hiyane : "Je trouve l'entraînement très physique et dur, mais j'y suis habitué car je faisais du sport à l'école. Je trouve plus épuisant et stressant l'utilisation d'une arme à feu et ce genre de choses auxquelles je ne suis pas habitué. Cette expérience laisse une trace."

Forces d'autodéfense

Depuis plusieurs années, les forces d'autodéfense japonaise cherchent à attirer de jeunes recrues avec difficultés. En 2023, le pays n'a réussi à engager qu'à peine la moitié des 20000 apprentis soldats espérés. Le déclin démographique ne favorise pas le recrutement, d'autant que les profils recherchés sont plus variés que par le passé.
Officier Toshiyuki Asou : "Nous avions autrefois besoin de troupes musclées avec de grandes capacités de combat. Mais la situation actuelle de la défense nationale exige un personnel plus diversifié en termes de compétences et de connaissance."
Pour tenter d'attirer davantage de candidats, l'âge d'engagement limite est passé de 26 à 32 ans. Les soldes ont été augmentés. Les autorités espèrent aussi que la féminisation en cours s'accentuera.
Asou :"Nous recherchons actuellement un large éventail de personnel. Car la situation de la sécurité nationale se diversifie passant de la cybersécurité à la défense spatiale aux ondes électromagnétiques et bien sûr au travail de renseignement."
Dans un contexte marqué par la montée des menaces régionales le Japon mise sur les drones, les capacités de contre-attaque avec des missiles et l'innovation technologique. L'archipel muscle sa défense à un niveau inédit depuis l'après-guerre.
Takaichi : " LeJapon doit s'engager de manière proactive dans le renforcement fondamental de ses capacités de défense. C'est pourquoi je prendrai des mesures pour atteindre l'objectif annuel de dépenses militaires de 2 % du produit intérieur brut."
2 % du PIB d'ici mars 2026, soit 2 ans avant l'objectif fixé par son prédécesseur. La nouvelle première ministre prévoit de revoir la Constitution pacifiste du Japon hérité de la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Réarmement n'est pas populaire

LHE : Constance Sereni, on a vu cette difficulté pour les forces d'autodéfense de recruter au sein aussi d'une population profondément pacifiste après les traumatismes de la Seconde Guerre mondiale. Comment la population vit-elle ce réarmement, ce réengagement ?
CS : C'est vrai qu’historiquement la population s'est toujours montrée très pacifiste depuis la fin de la guerre. L'une des façons de surmonter ce traumatisme. Et surtout qu'il n'y a pas eu de résolution au niveau de la culpabilité qui permet de satisfaire les blessures du passé.

Pacifisme

CS : L'une des façons de répondre à ces traumatismes ça a été le pacifisme. Donc de prendre cet article 9, cet article pacifique de la constitution comme une fierté finalement. Pas comme une clause imposée par les Américains. Mais comme une spécificité du Japon. Le Japon serait le pays de la paix.
Et quelque part pourrait le faire puisque c'est le seul pays avoir été bombardé par des bombes atomiques. Le seul pays à savoir ce que c'est que d'être bombardé par des bombes atomiques. Et donc le porte-parole de la paix. Les gens sont assez attachés à cette image là ce qui fait que globalement l'idée du réarmement du Japon n'est pas très populaire.
LHE : Une armée plus offensive donc serait vraiment anticonstitutionnelle.
CS : Anticonstitutionnel absolument parce que l'article 9 indique que le Japon n'a pas le droit de maintenir des forces capables d'attaquer. En fait, il n'a pas le droit de belligérance, c'est-à-dire le droit de faire la guerre. Cet article a été légèrement contourné dans les années 50 pour permettre au Japon d'avoir ce qu'on appelle une force d'autodéfense. Elle ne s'appelle pas armée en japonais mais bien force d'autodéfense (自衛隊, jieitai).
LHE : Et la nuance est très importante dans l'esprit des gens. Et c'est pour ça d'ailleurs qu’il y a une défense proactive ? C'est le terme je crois qui est utilisé qui est mis en avant par tout un courant dont fait partie Sanae Takaichi.
CS : Tout à fait. Une défense proactive, une défense collective selon le terme japonais (集団防衛 しゅうだん・ぼうえい shūdan·bōei). C'est-à-dire où en fait on viendrait à l'aide de ces alliés au nom de l'autodéfense. Dans l'état actuel des choses, si les États-Unis venaient à être attaqués, le Japon n'a pas le droit de l'aider étant donné que ce n'est pas un cas d'autodéfense. Mais l'idée serait d'élargir probablement cet article 9 plutôt que de le transformer complètement. Jusqu'ici cela s'est montré très difficile.
LHE : Et le budget militaire ne fait qu'augmenter. Aussi sous la pression des États-Unis.
CS : Absolument. L'armée, les forces d'autodéfense japonaises sont en fait, c'est une des armées les plus chères du monde. Et elle est l'un des meilleurs clients des États-Unis.
Donc bien entendu, les États-Unis ont tout intérêt à encourager le Japon à continuer à dépenser surtout chez eux.